Extrait 2 : L’épée de lumière

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Il devait être susceptible, le Conrad, et teigneux, parce qu’à peine j’avais fini de parler, qu’il m’a envoyé son poing. Heureusement j’ai esquivé, et il m’a seulement frôlé la poitrine. Il en a pesté de rage, et les autres se sont précipités vers moi. Mais je n’allais pas me laisser faire… Solidement ancré sur mes jambes, le corps souple, l’esprit en alerte, j’étais prêt à repousser l’assaut, quand tout à coup je me suis rendu compte qu’autour de moi, tout le monde s’était pétrifié, même Conrad, la bouche ouverte, avec son chewing-gum qui pendouillait. Tous les regards écarquillés convergeaient vers un point situé au-dessus de moi. Alors j’ai levé les yeux, et j’ai vu une espèce de faisceau brillant qui montait au-dessus de ma tête. On aurait dit qu’il partait de ma poitrine… Mais oui ! C’était bien cela ! Il sortait de la petite pierre du désert gravée d’un poisson que m’avait donnée Siméon et que je gardais cachée sous mon tee-shirt !

Le faisceau, d’abord tout fin et presque incolore, devenait ensuite large et scintillant. Que s’était-il passé ? Le poing de Conrad, en touchant la pierre, avait-il déclencher un mécanisme ? Le faisceau a d’abord dessiné, dans l’air, le contour d’un objet pointu. Puis il lui a donné du volume et l’a rempli d’une magnifique substance argentée. Une épée ! C’était une fabuleuse épée du Moyen-Age qui se dressait au-dessus de moi ! Immatérielle comme un hologramme, mais plus étincelante qu’un monceau d’argent… Je me suis reculé pour mieux l’admirer. Elle ressemblait exactement à l’épée du trésor que m’avait montré Francesco à notre première rencontre.

– « Alors blanc-bec, on fait des tours de passe-passe pour épater la galerie ? » a lâché Conrad qui s’était vite ressaisi. «Je te parie que c’est du toc, ton machin. Tu vas voir ce que j’en fais… »
– « Non ! N’y touche pas ! » j’ai crié.
Mais il était trop tard. Conrad avait déjà pris son élan et sauté pour attraper l’épée. Il la saisit à deux mains et la brandit contre moi d’un air menaçant.
– « Ca t’apprendra à ne pas aimer la bagarre », il a rugi en portant un coup violent dans ma direction.
J’ai vu la lame d’argent fendre l’air, à la vitesse de la lumière, puis s’abattre sur moi
…et transpercer mon bras
…sans provoquer la moindre blessure.

C’est le visage de Conrad, et non le mien, qui s’est alors déformé de douleur. Une vibration très forte semblait provenir de l’épée et se propager à tout son corps. Mon adversaire voulait lâcher prise, mais ses mains restaient collées au pommeau. Le glaive alors s’est élevé à plusieurs mètres du sol et l’a entraîné avec lui. La vibration s’est amplifiée. L’épée secouait Conrad dans tous les sens, de plus en plus fort. Il était comme un pantin agité par une force inconnue.
Alors j’ai pris dans ma main la pierre gravée, je l’ai examinée sous toutes ses coutures et sans trop savoir comment, j’ai réussi à actionner son mécanisme.

Aussitôt, l’épée s’est apaisée et a libéré Conrad. Mais pas de chance pour lui, il se trouvait juste au-dessus de la piscine ! Il a fait une sacrée chute et a atterri à plat ventre dans la mélasse. Ca a giclé de partout ! Il en a même perdu ses baskets. Pour éviter de s’enfoncer, il a essayé d’avancer à quatre pattes sur la surface gluante. Mais c’était comme des sables mouvants, et plus il bougeait, plus il coulait. Enervé, il s’est mis à se débattre furieusement ; la bouillasse se collait sur ses yeux, emplissait sa bouche, ses narines ; on n’entendait même plus ce qu’il criait. Puis d’un coup, comme un bateau à la coque percée, il a piqué du nez, jusqu’au fond du bassin. Son pantalon, en se remplissant de bouillasse, a alors lâché de grosses bulles qui sont montées éclater à la surface. Trop comique ! Même ses copains n’ont pas pu s’empêcher de rigoler…

Pendant ce temps, l’épée avait effectué un grand cercle autour de la piscine, et était venue s’arrêter au-dessus de moi. Elle s’est alors posée, lentement, à l’horizontale. Sans un bruit, ses contours ont commencé à s’effacer, comme des grains de sable emportés par le vent.

Puis sa belle substance argentée a reformé un faisceau et s’est écoulée, en une pluie étincelante,
dans l’étrange fourreau attaché autour de mon cou.